Il y a plus de 25 ans, le mouvement des radios libres faisait tomber le monopole d'Etat sur la radiodiffusion et ouvrait la bande FM aux multiples expressions sociales, culturelles, politiques et musicales –
aujourd'hui, le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel lance la radio numérique terrestre (RNT) dans des conditions qui mettent en péril les actrices et continuatrices de ce mouvement, les radios associatives non commerciales, dites de catégorie A.
Le remplacement de la diffusion en FM par celle en numérique est présenté comme une évolution strictement technique, permettant de diffuser davantage de stations et d'associer au son des données supplémentaires (nom de l'émission et des invités, publicités, pochettes d'albums, météo...). Nous y voyons une mise en danger des radios associatives non commerciales, une velléité d'uniformisation du paysage radiophonique et la consécration d'une conception technocratique de l'audiovisuel.
La « diversité » numérique s'annonce davantage comme la multiplication de programmes clonés que comme une ouverture aux alternatives, aux minorités et aux expérimentations.Une logique de colonisation / La confusion et la précipitation dans lesquelles se fait cette transition jouent en faveur des industriels, des antennes commerciales et des grands réseaux de radios : principaux bénéficiaires de la radio numérique, qui leur permettra d'accroître leur maillage du territoire, ils sont aussi les seuls à disposer des compétences techniques et des outils financiers qu'elle impose.
Une consultation publique organisée en octobre 2006 par le CSA mentionne de manière explicite les inquiétudes des associatives, sans que l'appel à candidatures numériques de 2008 n'en tienne compte. Ce dernier a été lancé de manière abrupte, sans concertation et sans que la spécificité des radios de catégorie A ne soit prise en considération : prioritaires sur le premier appel mais pas sur les suivants, elles ont injonction à demander une fréquence numérique alors qu'on ne leur donne pas les moyens de l'exploiter.
Elles qui n'ont pas d'intérêt particulier à passer au numérique, étant donné qu'elles diffusent en local et ne seront pas nécessairement en mesure ni désireuses de développer les fameuses « données associées », risquent tout simplement de se retrouver sans aucune fréquence lorsque la bande FM sera éteinte. L'Etat, les réseaux et les industriels organisent et vantent la ruée vers le numérique, mais dans le même temps les fréquences associatives non commerciales sont averties, comme aux débuts de la FM, que les places seront rares, l'éviction d'un certain nombre d'entre elles se préparant ainsi.
Une logique de rentabilité / Les radios associatives non commerciales sont principalement subventionnées par le Fonds de Soutien à l'Expression Radiophonique (FSER), créé suite à la libération des ondes, et qui est approvisionné par une taxe prélevée sur les revenus publicitaires de l’audiovisuel commercial et public - la fin de la publicité annoncée sur les médias de service public risque d'entraîner dès 2009 une baisse de 30 % des fonds du FSER, donc une coupe proportionnelle des subventions qu'il reverse aux antennes non commerciales
Le passage au numérique, censé se faire au même moment, représente un coût considérable pour les radios : investissement en matériel, formation à la nouvelle technologie, et double diffusion (sur la bande FM et sur la bande numérique) à assurer pendant plusieurs années.
Or à ce jour, non seulement aucune compensation du FSER n'est décidée pour qu'il puisse maintenir ses subventions, mais aucun financement spécifique n'est effectif pour le passage au numérique – et ce dans un contexte de baisse généralisée des aides publiques, qui affecte l'ensemble du secteur associatif. Lors de la consultation publique du CSA, proposition a été faite d'adopter le must-carry : en vigueur notamment aux Etats-Unis, il oblige les diffuseurs à héberger gratuitement les antennes locales sans but lucratif - la suggestion n'a pas été retenue.
La réalité des radios sans publicité ni profit est tout simplement ignorée dans ce passage au numérique - il en va d'elles comme, par exemple, des minimas sociaux, de certaines prises en charge médicales, ou de la recherche fondamentale : ce qui n'est pas rentable pourrait aussi bien disparaître.
Une logique de contrainte / Actuellement, chaque radio choisit son diffuseur ou bien s'auto-diffuse, et émet ainsi sur la fréquence qui lui a été attribuée par le CSA. Avec le passage au numérique, les radios devront nécessairement passer par un nouveau prestataire technique appelé multiplexeur, chargé de coordonner la diffusion d'une dizaine de programmes sur une même fréquence.
obligation : celle de transiter par un prestataire, et celle de se pacser avec neuf autres radios pour être diffusées. Les tarifs des multiplexeurs seront fonction de la qualité d’écoute et de la nature des « données associées », il existe donc un risque certain que ces prestataires privés jouent un rôle dans l’attribution des places des radios (ce qui était en FM du ressort du seul CSA).
Une logique de verrouillage / Une norme unique de diffusion, nommée T-DMB, a été imposée : c'est une norme propriétaire, c'est-à-dire fermée, vidéo, et dont les tests audio n'ont pas été convaincants. La France est par ailleurs le seul pays en Europe à avoir choisi cette norme, ce qui signifie que les radios françaises ne pourront pas être reçues ailleurs qu'en France, et inversement que les récepteurs français ne pourront pas permettre d'écouter les radios européennes. Comme précédemment en matière de logiciels ou d'échanges de données, le numérique est employé pour verrouiller des accès alors qu'il aurait été l'occasion d'une plus grande ouverture.
Le multi-standard et d'autres normes existent, comme le DAB ou le DRM (norme non propriétaire) : elles offrent une meilleure qualité audio, permettent de diffuser davantage de radios, et sont engagées dans un travail commun de compatibilité réciproque.
Une logique de consommation / Les récepteurs numériques coûtent actuellement 6 fois plus cher qu'un transistor classique - leur prix va certainement baisser au fil des années, il n'en reste pas moins que de nombreuses personnes n'auront ni les moyens financiers ni l'aisance technique pour accéder à cette technologie. Un certain nombre de radios restées libres ont fait le choix, social, politique, culturel, de donner la parole à ceux qui ne l'ont pas : les quartiers populaires, les non-professionnel-le-s, les non-spécialistes, les communautés immigrées, le mouvement social, les actrices et acteurs des luttes, les initiatives culturelles non commerciales...
Alors que l'accès à internet reste encore très inégal, la radio numérique risque fort d'accroître le fossé en terme d'accès à l'expression, à l'information et aux nouvelles technologies. La radio, qui est en FM un média simple d'accès et quasiment gratuit, deviendrait un outil technologique discriminant.
Mais nous sommes illogiques, et nous durerons longtemps / Nous considérons qu'il ne nous est simplement pas possible de répondre à cet appel à candidatures qui, en l'état, piège les radios de catégorie A.
Nous demandons : le maintien de la bande FM sur le long terme ; que le passage au numérique n'occasionne aucune suppression de radio associative non commerciale ;
que soit réservée sur la bande numérique une part pour les radios de catégorie A au moins égale à celle de la bande FM ;
qu'une procédure de déclaration d'intérêt soit mise en place immédiatement pour les radios de catégorie A émettant actuellement en bande FM, leur garantissant une priorité sur l'ensemble des appels à candidatures (et non seulement le premier),
qu'elles puissent effectuer la transition vers le numérique quand elles le souhaiteront ; un doublement de l'approvisionnement du FSER
ainsi que la création d'un FSER-bis pour la RNT qui comprendra une subvention quinquennale d’équipement et une, annuelle, de fonctionnement.
Fréquence Paris Plurielle / Radio Canut-
- Fréquence Paris Plurielle 106.3 FM www.rfpp.net45 rue d'Aubervilliers 75018 Paris 01 40 05 06 01
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